Le phénomène des sick-fluenceurs -de très jeunes influenceurs affichant une pathologie mentale sur les réseaux sociaux- n'a pas rendu service aux vrais malades. Récemment lors d'une conférence Cécile, professeure des écoles, témoignait de son expérience auprès des enfants et de l'impact d'une identité pathologique perçant à la vitesse de la lumière ses classes. Tous les troubles mentaux vont bon train. La plupart du temps auto-diagnostiqués, l'exemple cité était le phénomène du transgenrisme ou de l'autisme. Des clusters éclosent ici et là, défiant les statistiques. "Sur 30 élèves, c'est parfaitement impossible que six soient autistes Asperger ! Et dans plusieurs classes d'une même école en encore moins. C'est juste mathématiquement intenable." Elle remarque aussi que les filles sont beaucoup plus sujettes à ce phénomène de contagion sociale que les jeunes garçons.
Et puis ces enfants grandissent. Place au vertigineux Trouble Dissociatif de l'Identité ou à la Personnalité Limite, le TDAH lui, plutôt comme l'osmius, traverse placidement tout le cursus scolaire avec tranquilité.
Si l'homme est une créature mimétique, l'enfance est le buvard le plus fin et délicat de tous.
De surcroit, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, le fétichisme de la maladie mentale, justifié par le chaos démocratique du devoir de sensibilisation, in vita Minerva, la maltraite. C'est le contraire de l'effet escompté qui est produit.
Tout se mélange, entre drame, légèreté et spectacle.
Une décennie de découvertes
En épistémologie, populariser un phénomène de manière purement empirique n'est pas suffisant. A cause de cette écueil, la reconnaissance des pathologies psychiques va certes se voir populariser, mais surtout s'alourdir de besogneuses valises avant d'être prise au sérieux et vues comme on voit un ulcère ou une malformation génétique.
Comme je le disais précédemment ne croyons pas si bien dire avec la génétique : elle, et son petit frère l'hérédité, en ce qui concerne, au hasard la bipolarité est de plus en plus mise en évidence par l'avancée des neurosciences et la liquidité de la méthode scientifique, qui suit son fleuve.
Mais qui sont les vrais bipolaires, ces gens qui ont ce petit je-ne-sais quoi en plus - ou souvent en trop ?
Qui casquent. Qui payent rubis sur l'ongle les caprices d'une neurochimie déconcertante, imprévisible, farceuse et souvent cruelle. Il se dit qu'on ne s'ennuie pas avec ces gens là. Pourtant beaucoup choisissent le secret, de peur d'être traité comme des parias, des menteurs, des fragiles, des cas sociaux, des personnes à problèmes. Bref des fous...
Les fous sont aux échecs les plus proches des rois.
Mathurin Régnier
Finalement, on a déjà beaucoup parlé, alors pourquoi ce sujet ? Quelques lecteurs le savent déjà étant concernée. C'est un peu comme un vase de stamnos posé sur ma tête. Si par mégarde, je fais un faux pas, alors le vin se dissipera et on ne reconstitue pas du vin. Pour qu'il demeure intact et qu'il arrive à bon port, prendre son temps est de mise.
Le concept est aussi creux que le vase est vide, tout le monde croit savoir ce qu'il contient.
Que veut-on vraiment lorsqu'on est concerné ? Qu'on soit vu et admis ou ridiculisé ?
J'ai décidé de n'amener ici ni ma science ni mon expérience empirque à moi. Déjà parce-que je ne suis pas le centre du monde.
Alors j'en ai interrogé un autre. Il n'est pas sick-fluenceur, il a une vie rangée, il est discret et se considère en ce moment comme stabilisé. Je donne aujourd'hui la parole à Yanis.
Comprenez bien que ses réponses ne sont pas les miennes, bien que je sois d'accord sur beaucoup de ses constats. Déjà parce qu'il existe trois types de bipolarité selon la nomenclature scientifique, un repère pour les médecins avant tout. Mais comme certain le savent en réalité, il existe autant de syndromes bipolaires que de personnes, malgré tous les points communs et les récurrences. Type I, type II... et bientôt type III, ce dernier n'étant qu'à l'âge de pierre de sa découverte.
Et comme les gens aiment les choses qui se voient, la pathologie est dorénavant perceptible lors d'une IRM.
"Tout le monde est un peu bipolaire" /ça n'est pas une vraie maladie
Yanis : " - Nous ressentons tous des variations plus ou moins importantes d’humeurs, d’émotions, de ressentis, en fonction des aléas de la vie, de notre situation qui change, des drames et des heureux évènements, de nos expériences passées et de nombreux autres facteurs. La personne atteinte du trouble bipolaire vit ces ressentis que nous connaissons tous de façon exacerbée, à haute intensité. Que ce soit des sentiments positifs (euphorie, joie, emballement…) ou négatifs (dépression, honte…). Cette intensité peut être telle que la personne sujette connaisse une perte de contrôle, que ce soit en phase de manie, et ainsi se mette à adopter des comportements déplacés, ostensibles, vulgaires, dénués de sens, qui pourraient la faire passer pour atteinte de « folie » si non traitée ou en phase de dépression.
Nous sommes tous « un peu bipolaires » d’après moi. Mais les personnes qui le sont réellement sont celles dont ces ressentis sont poussés à l’extrême et qui leur font perdre le contrôle d’elles-mêmes, malgré leurs efforts, les handicapant au quotidien.
"Les personnes ayant une santé mentale au moins à peu près saine ne vrillent pas comme j’ai pu le faire."
C’est ce qui m’est arrivé à mes 15 ans quand cela s’est déclaré (en 2001). J’ai fait l’objet d’une manie, j'ai explosé : comportements honteux, pas de gêne, propos déplacés, comportements dénués de sens parfois dangereux sans même m’en rendre compte… Avec le recul et une situation beaucoup stable aujourd’hui, si j’assistais aux scènes auxquelles je me suis livré, je me verrais comme un fou pour qui il n’y a pas grand-chose à faire. Les personnes ayant une santé mentale au moins à peu près saine ne vrillent pas comme j’ai pu le faire."
"Bref, tu es lunatique"
"Puisque tout le monde ressent des variations d’humeur ou d’émotions, les effets du trouble bipolaire sont souvent minimisés. Le niveau d’intensité est souvent sous-estimé et les gens ont en général autre chose à faire que de s’intéresser à ce qui se passe dans votre cerveau. Je ne leur reproche pas ce dernier point car j’imagine qu’ils ont également leurs problèmes personnels mais cela implique de n’être souvent pas pris au sérieux. J’ai déjà entendu que le trouble bipolaire « n’existait pas ». Il est difficile de se mettre dans la tête d’une personne bipolaire, à supposer qu’on ait envie d’essayer de le faire. « Tu es lunatique en gros » veut aussi dire que nous n’allons pas nous éterniser sur ce sujet et passer à quelque chose de plus intéressant. Ceci n’est pas forcément plus mal. Je ne conseille pas de se livrer sur l’existence de sa pathologie au quotidien et encore moins de donner des détails ou d’essayer de convaincre les personnes qui ne sont pas nos intimes. Vous obtiendrez surtout une forme de rebut d’autrui, et votre crédibilité en tant que personne chutera et ce souvent de façon irréversible. C’est en contradiction avec le besoin d’information et de sensibilisation à propos de cette maladie mais apprendre à la dissimuler est une nécessité pour (sur)vivre au quotidien. Une difficulté est qu’il faut à la fois la subir, subir les effets des traitements et faire comme si tout était normal vu de l’extérieur, si vous y arrivez. Mensonges, pirouettes, diversions…je me suis habitué à pratiquer la dissimulation quand mon état suscite des interrogations et que je le peux, cela paie beaucoup plus."
"La bipolarité est la maladie des gens les plus intelligents et sensibles"
"Il s’agit à nouveau d’un point qui fluctue énormément entre deux extrêmes. Durant certaines phases, vous faites attention à de nombreux détails, réfléchissez et analysez à grande vitesse, votre cerveau fuse d’idées et votre imagination est débordante.
A l’extrême opposé, il se peut que vous soyez particulièrement lent d’esprit, que vous réalisiez des choses après coup (parfois plusieurs jours ou semaines), que votre mémoire soit peu performante…
Avant d’exploser à l’adolescence, j’étais un garçon plutôt intelligent. Je suis ensuite passé par plusieurs années durant lesquelles j’ai dû fonctionner avec des capacités au ralenti liées également aux différents traitements suivis. Ce fut une période de fort doute concernant la possibilité de retrouver mon niveau un jour, qui aujourd’hui est levée et j’essaie d’adapter mon quotidien pour ne plus revenir à une chute de long terme comme celle connue plus jeune. Cela dépend aussi de vous."
"Je m’étais par exemple ensanglanté les mains à la suite d’une action totalement insensée et qui aurait pu aller plus loin si mes parents n’étaient pas intervenus. La plupart des bipolaires sont loin de devenir de grands écrivains ou de grands chanteurs. "
"...Ou des dramaqueens ?"
"De nos jours, se présenter en victime sous de nombreuses formes possible est devenu un moyen de sa valoriser. Certaines maladies mentales font partie de ces formes de mise en avant. Beaucoup de « diagnostiqués bipolaires ou autistes Asperger » se mettent en avant en présentant leur pathologies comme « cools ». Je suis très sceptique sur leur sincérité. La dépression est l’exact contraire de ce qui peut être qualifié de « cool ». A mes 15 ans, je n’arrivais pas à dormir, enfermé dans des pensées délirantes me déconnectant de la réalité. Je m’étais par exemple ensanglanté les mains à la suite d’une action totalement insensée et qui aurait pu aller plus loin si mes parents n’étaient pas intervenus. La plupart des bipolaires sont loin de devenir des grands écrivains ou des grands chanteurs.
S’ils arrivent à avoir une vie de famille et un travail sur du long terme, c’est déjà très bien. Cette course à la victimisation et cette volonté de s’inventer des pathologies psychiatriques, que je pense bien réelle, discrédite les vrais concernés et les fait passer pour des faibles qui se plaignent.
Comme évoqué plus tôt, il est difficile d’imaginer à quel point la perte de contrôle peut être importante vue de l’extérieur. Je n’ai jamais consommé de drogues de ma vie mais j’ai pourtant l’impression d’avoir pris un shoot d’hormones que je ne saurais identifier (dopamine ?) en phase de manie. C’est comme si mon cerveau fabriquait et s’injectait déjà de la drogue de lui-même, du moins, c’est comme cela que je vois la chose. Il y a peu d’empathie pour cela, si j’y réfléchis, c’est parce que je suis concerné.
Il faut de plus reconnaître que les personnes bipolaires ont aussi des comportements qui peuvent être légitiment être perçus comme agaçants, pénibles, perturbant une situation, déplacés, insupportables… Dans de telles situations, il est difficile pour les autres d’éprouver de l’empathie pour elles et il est plus facile et pratique de les catégoriser afin de ne plus les supporter."
"C'est une maladie de blancs"
"Les pays où les maladies psychiatriques sont les plus prises au sérieux par la population et les services de santé sont les pays occidentaux et donc à majorité blanche. Je pense que dans beaucoup d'autres endroits, ces malades sont moins visibles en raison du manque de moyen et de mentalités accordant moins de considération à ce type de maladies, mais qu'il y a des bipolaires dans tous les peuples."
"La bipolarité est liée à un traumatisme grave de l'enfance"
"Ce peut être vrai. Dans mon cas, je ne peux pas parler de traumatisme grave, n’ayant pas été maltraité, abusé ou subi d’accident grave. J’ai eu des parents bien intentionnés qui subvenaient aux besoins matériels (nourriture, logement, loisirs) mais qui m’ont fourni peu de repères et qui n’ont pas instauré un esprit de famille au sein du foyer. Mon père était absent en tant que figure paternelle bien que présent physiquement au quotidien. De plus, il ne donnait pas l’image de quelqu’un de fort. Mon enfance s’est passée dans un climat de froideur émotionnelle à la maison bien qu’aimé sincèrement par mes parents. Ils ne se sont jamais rendu compte de cela. Pour eux, tout était normal. Si l’on se réfère aux liens d’attachements précoces en psychologie, je pense me situer en profil évitant : fuyant les émotions et tout ce qui pouvait les susciter, peu expressif, ne recherchant pas à s’intégrer ou se mélanger avec les autres. L’absence de liens entre membres de notre famille a empêché la transmission de valeurs et de leçons de vie. Me retrouvant souvent seul et perdu dehors, j’avais beaucoup de difficultés à adopter les bons comportements pour m’adapter et « survivre » au contact des autres. Cela m’a valu des déconvenues et des humiliations car j’étais isolé et j’ai fini par m’y résoudre. Un conditionnement me maintenant dans cet isolement à moitié subi et à moitié voulu s’est alors opéré et a duré la majeure partie de ma vie.
"Un « fou » vaut autant que sa parole. Une « folle » un peu plus selon moi mais elle peut susciter l’intérêt de prédateurs, ce n’est donc pas forcément mieux. "
Face à une réalité morne et ennuyeuse, la phase de manie du trouble bipolaire a été un mécanisme de défense, me permettant de m’évader dans des pensées délirantes dans lesquelles j’étais capable de choses, pouvant être agréables et susciter de l’euphorie et de l’emballement, en me déconnectant totalement du réel. Elle est survenue à mes 15 ans. C’est à cette période de la vie que survient généralement le trouble bipolaire. Les liens d’attachement précoces se font durant l’enfance et sont très déterminants sur les comportements futurs des individus. Dans mon cas, mes problèmes psychiatriques remontent à l’enfance mais je ne suis pas certain non plus que ce soit une vérité générale. La génétique et les drames et autres coups durs de la vie (décès, divorces…) peuvent également être causes de la maladie."
"Les personnes bipolaires ne peuvent pas entretenir de relations stables"
" L’état de la personne peut ne pas le permettre. Il est nécessaire que la personne bipolaire soit stabilisée par un traitement, un suivi régulier avec le bon psychiatre et un quotidien bien organisé avec des activités saines. Cela fait beaucoup de conditions ! Trouver le bon traitement peut être long d’autant plus que chacun réagit différemment aux médicaments existants. Cette stabilité est susceptible de demander de la patience et des efforts à la personne bipolaire. Adapter son emploi du temps et ses activités est également crucial. A partir du moment où vous êtes bipolaire, je suis d’avis qu’il faut accepter que la vie se fera désormais avec des contraintes :
- Les symptômes de la maladie (troubles de l’humeur, des émotions…).
Ceux-ci peuvent être pesants et pénibles pour l’entourage, un traitement associé à un travail sur soi sont à ajuster afin d’être en mesure de conserver des relations sur le long terme. Bien sûr bien choisir ses relations, ne pas se livrer à n’importe qui et pas trop, voire pas du tout sur sa maladie (ce que je préconise) pour entretenir sa crédibilité auprès des autres. En effet, vous pouvez perdre tout le crédit qu’on vous accordait sur cette seule nouvelle. Peu importent vos qualités, le retour en arrière concernant l’opinion que les autres ont de vous est souvent irréversible.
- Les effets secondaires des traitements : forte somnolence, appétit insatiable suivi d’une forte prise de poids, « ralentissement » du cerveau pour n’en citer que quelques-uns (ils sont en réalité pléthore). Jusqu’à mes 26 ans, les contraintes résultant de mon traitement m’ont privé de toute vie sociale : coucher avant 22h00, plusieurs siestes par jours, parfois en amphithéâtre durant mes études ou à la bibliothèque, ou entre deux cours. Outre le temps passé à dormir ou à
somnoler, l’image donnée était désastreuse : un individu d’une mollesse aussi manifeste n’inspire que rebut et mépris. Et inutile de se justifier, cela ne ferait qu’aggraver votre cas. Cela peut sonner comme de la victimisation mais on ne vous pardonnera pas une maladie psychiatrique comme le trouble bipolaire. Il est illusoire d’espérer de l’empathie comme j’ai pu le faire. Un « fou » vaut autant que sa parole.
Une « folle » un peu selon moi mais elle peut susciter l’intérêt de prédateurs, ce n’est donc pas forcément mieux. J’étais crédule en plus d’être ralenti par le traitement de cheval qui m’était administré. Car mon esprit aussi tournait au ralenti, ce qui se remarquait et me décrédibilisait très vite au cours d’une discussion. Je n’avais aucun recul à l’époque et vivait cela comme une injustice, ces rejets presque systématiques me semblaient incompréhensibles. J’ai les idées beaucoup plus claires aujourd’hui et je ne peux qu’admettre l’évidence : ma somnolence, ma lenteur d’esprit, tous les autres effets secondaires des traitements et mes indisponibilités qui en résultaient ne pouvaient m’amener qu’à l’impossibilité de tisser des relations. Je me trouverais moi-même étrange et peu attirant à tout niveau si je me revoyais. J’estime avoir été courageux et tenace à passer toutes ces années dans cet état car j’ai fini par en sortir en m’accrochant aux cours et à quelques activités que je parvenais à pratiquer mais cette ténacité et cette patience ne se reflétaient absolument pas de l’extérieur. Ce qui se passe dans le cerveau ne se voit pas forcément de l’extérieur. Dans le cas d’une personne bipolaire, ce qui se ressent est fort et puissant, ce qui peut l’amener à croire à tort que de l’extérieur, on se rend compte de quelque chose.
"Les premières années suivant la déclaration de la maladie, je ne m’imaginais pas obtenir un diplôme, conduire un véhicule, gagner décemment ma vie, atteindre un bon niveau en sport ou me marier. "
- Une vie bien organisée : adapter son mode de vie pour subir le moins possible sa maladie et pratiquer des activités constructives nécessitant de la concentration et de l’application aide à « sortir » de la maladie et à créer et conserver des relations sociales
Evoquer ces contraintes n’a pas pour but le pessimisme, il s’agit d’une réalité. La bipolarité contraint. Des relations sociales stables sont bien possibles mais dépendront beaucoup de l’état de la personne, de son expérience de la maladie, notamment pour adapter ses comportements et habitudes avec les autres. Me concernant, si j’ai pu l’acquérir, c’est après de nombreuses années d’échecs. Je garde également à l’esprit que la dissimulation de celle-ci est indispensable à ma « survie sociale ». Apprendre à masquer le trouble bipolaire vous aidera à conserver vos relations. C’est un peu laid formulé de cette manière mais vous allez devoir apprendre à être seul(e) à ce niveau. Vous n’aurez pas souvent l’opportunité de partager vos ressentis de bipolaire (j’en profite pour te remercier).
Une fois la pilule avalée, j’en suis néanmoins sorti plus solide et confiant. C’est tout de même une qualité de savoir être seul avec soi-même."
"Il suffit de se bouger les fesses et on peut en sortir"
" Se «bouger les fesses » est une condition nécessaire mais pas suffisante. L’action au quotidien est importante pour vivre au mieux le trouble bipolaire. Agir, avoir des activités saines et constructives qui occupent l’esprit et obligent à la concentration aident à tenir et à « sortir » de sa pathologie. Mon médecin me dit que mon esprit est un espace de stockage « à remplir par des activités, un emploi du temps chargé » car l’espace que je laisse libre (si je ne l’occupe pas) finira par être comblé par des pensées délirantes en phase de manie ou par des mauvaises idées en cas de dépression. Les capacités d’action seront certainement très réduites au début de la démarche mais discipline et persévérance peuvent s’avérer payantes sur le long terme. Limitez-vous à 15 minutes par jour si vous êtes vraiment impacté. 15 minutes sont déjà un immense effort pour une personne en pleine dépression ou en phase intense de manie. En 20 ans de maladie, j’ai continué à pratiquer tant bien que mal des activités dans la limite de mes capacités de concentration et de discipline (études, emplois, sport, lecture), qui ne pesaient guère lourd au départ.
"Le traitement contient le trouble bipolaire, il ne l’élimine pas."
Outre votre esprit à occuper, il s’agit aussi de travailler sa confiance et son estime de soi, susceptibles de s’effondrer au gré des montagnes russes que connaitront vos émotions et humeurs. La pratique amène la compétence qui amène la confiance en soi et ensuite l’envie de s’essayer à de nouvelles disciplines. Les premières années suivant la déclaration de la maladie, je ne m’imaginais pas obtenir un diplôme, conduire un véhicule, gagner décemment ma vie, atteindre un bon niveau en sport ou me marier. Et si je ne m’étais pas. « bougé les fesses » pour apprendre à me maîtriser au mieux, à améliorer mon corps et mon. esprit avec l’exercice physique, en me forçant à tenter de nouer des relations de tous types dont la quasi-totalité a tourné à l’échec, la maladie serait bien plus impactante sur moi. Nonobstant, cette démarche de se prendre en main doit impérativement être accompagné d’un traitement adapté. C’est la combinaison des deux qui permet de s’en sortir au mieux. Soyez patient, persévérant, même si les efforts que vous êtes capable de faire à vos débuts vous semblent dérisoires. Gardez à l’esprit que le frein avec lequel vous avancez vous ralentit mais ne vous condamne pas systématiquement à l’arrêt. Je souhaiterais finir sur de l’optimisme et du positif : avec le temps, une personne bipolaire peut obtenir les mêmes réussites qu’une personne sans trouble psychologique et même plus. Le travail de longue haleine paiera. Ce que vous imaginez impossible aujourd’hui peut devenir une formalité dans quelques années. Tout ce que j’imaginais comme impossible et que j’ai mentionné plus haut est aujourd’hui mon quotidien.
Je suis parvenu bien plus loin que ce que je n’espérais même pas et je compte continuer de progresser à vie. Enfin, même si je n’apprécie pas ceux et celles qui mettent leur bipolarité en avant comme s’il s’agissait d’un jeu, je dois reconnaître qu’elle peut être génératrice d’une grande force lorsqu’on se fixe un objectif en tête. La phase de manie notamment nous plonge dans des pensées très fortes, qui si elles sont liées à l’objectif souhaité crée une sorte d’obsession qui pousse à la réalisation."
« Donc, C’est à vie »
Il est nécessaire de l’accepter après avoir acquis de l’ «expérience » avec son trouble. Déjà parce que toute vie est jalonnée de hauts et de bas. Ensuite parce que tout arrêt d’un traitement et d’un suivi renvoie irrémédiablement à une rechute. Le traitement contient le trouble bipolaire, il ne l’élimine pas. Cela signifie que des contraintes existeront toujours : les effets secondaires du traitement seront toujours présents même s’il est possible de fortement les diminuer au fil du temps, l’organisation de sa vie en fonction de la maladie sera toujours indispensable, la prise de cachets quotidienne en elle-même demeurera une charge (certes légère mais réelle), et la dissimulation de sa maladie au quotidien s’imposera toujours comme une règle de survie en société.
La bipolarité se déclare généralement en pleine jeunesse, après l’enfance. Je m’abstiendrais toutefois d’aborder ce point si j’avais en face de moi un garçon ou une fille de 16 ans confronté à cette maladie. Personne à cet âge en particulier n’a envie qu’on lui dise que sa vie comportera les contraintes mentionnées plus haut, qui plus est toute sa vie."
Merci, énormément Yanis, pour la générosité de ton témoignage. J'espère que cela aidera les proches de personnes atteinte de bipolarité, les curieux ou les concernés eux-même.
Attika Lesire et Yanis.
Notes
¹ :Note sur les liens d’attachement précoces. Je mets ici une définition trouvée sur le
site suivant mais de nombreux sites en parlent :
L'attachement évitant.
Il renvoie à un mode de fonctionnement individuel favorisant une autre forme de dépendance affective. Concrètement, les personnes ayant un style d'attachement évitant, auront tendance à fuir l'investissement, voire la relation en soi, par peur de souffrir.
Elles se sont construites de manière à ne jamais rien devoir à autrui et surtout à ne
rien demander affectivement.
Elles ont souvent souffert du manque de réponses de leur première figure d'attachement (les parents) et ont inconsciemment développé des troubles de l'attachement et décidé de ne plus jamais se mettre en situation de souffrir du manque de l'autre. Elles gardent donc leurs émotions pour elles, ou bien sont inhibées affectivement. Elles peuvent donner, mais acceptent difficilement de recevoir en retour. »
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