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  • Photo du rédacteurAttika Lesire

L'acédie, clé de compréhension des 7 Péchés Capitaux


Lorsqu'on l'écrit, le correcteur automatique souligne le mot. Acédie.

Ressemble à facétie étymologiquement, phonétiquement c'est une autre histoire et puis on lui a tranché son F. Un mot qui a perdu sa tête et sa sibilante. Et pour cause : la facétie est une plaisanterie burlesque. L'acédie signifie à peu près tout le contraire.


Qui pourrait ici deviner que dans la longue histoire des Sept Péchés capitaux, l’acédie est probablement l’un des vices les mieux documentés par les sources et les historiens alors qu'elle fut estompée sous les siècles ? Pour remonter un peu tout ce bazar, il faut revenir à Évagre le Pontique ou Saint Évagre de Constantinople, un moine (345-399) ayant vécu dans le désert d'Égypte. Il est un véritable précurseur de la voie de la liberté intérieure dans la Tradition catholique. Il fut un anachorète - autrement dit un ermite, une personne qui a fait le choix d’une vie spirituelle dans la solitude et le recueillement- et il est le premier qui systématisa la pensée ascétique chrétienne. L'histoire d'Évagre est fort instructive.



Évagre, né au nord de la Turquie actuelle, est le fils d’un évêque d’une communauté rurale. Il quitte son pays pour se rendre à Constantinople. D’abord avec le soutien de Grégoire de Nazianze, puis celui de Nectaire, tous deux évêques, il étudie et semble avoir beaucoup de succès comme rhétoricien dans ses prêches contre l’hérésie.

Goûtant ce succès social, il mène une vie relativement mondaine. Mais une brisure, celle du cœur après une idylle amoureuse à laquelle il met fin le fait quitter la ville. Il rejoint Jérusalem est y est reçu par Mélanie de Rome et Ruffin, deux Latins ayant adopté la vie ascétique et qui ont fondé des couvents. Mais ses démons viennent le hanter. Il se morfond peu à peu dans ses souvenirs, victime de remontées de saveurs pour la vaine gloire et le souvenir de ses amours passées. Il tombe alors malade, sans que les médecins parviennent à poser un diagnostic et à le guérir. Vont alors voir le jour ses travaux comme le Traité pratique ou le moine, mais aussi dans deux autres textes, l’Antirrhétique et Des huit mauvaises pensées. Ce qui est radieux chez Évagre, c'est que nous sommes au IVᵉ siècle, la psychologie n'existe pas et il fait preuve d'une grande finesse en la matière, notamment avec son Traité pratique. Ce qu'il va décrire, c'est l'irruption dans l'esprit des aspérités de sa vie d'avant, qui viennent perturber sa quiétude en lui offrant des images, des représentations, en stimulant son imagination. Ce que cela dit est qu'entrer à la vie monastique ne suffit pas, tout un travail antérieur ET intérieur est une clé de voute précédent toute prétention à se présenter ainsi devant Dieu. C'est la qualité d'écoute des élans de son âme qui sera proportionnelle à la solidité et la qualité de sa foi. Un principe somme toute assez simple.


Évagre est le père des Sept Péchés Capitaux. Il met en évidence que la solitude de l’anachorète, caractérisée par l’absence des objets tentateurs, n’en supprime pas le désir. C'est même à peu près le contraire qui se produit si aucun retour sur soi-même n'intervient dans ce cheminement aux côtés de Dieu : les désirs sont d’autant plus intenses et vivides que l’objet fait défaut. Le moine se découvre habité de pensées, de sentiments dont les démons se servent et qui font obstacle à la rencontre avec Dieu.


C'est là qu'il faut comprendre que la mise en perspective du fameux "Être dans le monde sans être du monde" devient sensiblement plus claire lorsqu'on opère une vraie compréhension du sens de l'acédie. La modernité l'aurait-t elle supprimé des Sept Péchés capitaux car son entendement n'était accessible que par une infime proportion d'initiés, notamment les ascètes ? C'est pourtant une clé qui ouvre une immense porte.

Au berceau du Christianisme déjà les plus fines argiles de la pensée s'entremêlaient avec la pierre robuste opus caementicium et grâce à la précieuse aide entre autres de Saint Thomas d'Aquin on systématisa un matériau qui pouvait alors pleinement s'universaliser et se répandre dans tous les moules.


Ce que soulève l'acédie, c'est qu'elle entraîne le refus du bien spirituel le plus élevé, la charité. Elle a la particularité de sacrifier à la fois le fidèle (douleur) mais également Dieu, puisqu'elle nous coupe de Lui. L’acédie, jadis suscitée par l’environnement de la cellule, de la clôture et de la règle, devient une tristesse plus générale pour le bien spirituel, une manière de renâcler à y contribuer, comme un affaissement de la charité entendue comme amour envers Dieu et une impossibilité de porter la joie, comme une panne de la pénitence conçue comme disposition à susciter autour de soi la foi.

Pire, elle est réputée pour procurer des "migraines" qui s'enclenchent de manière périodique, caractérisée :


"C’est l’ennemi le plus dangereux et le plus acharné des solitaires ; il les tourmente principalement vers l’heure de sexte, et leur donne alors comme une sorte de fièvre réglée qui allume, dans leur âme malade, les plus violentes ardeurs. Aussi quelques Pères l’ont-ils appelée le démon du midi, dont il est parlé au psaume."
Cassien, Institutions cénobitiques, Livre X, 1

Cette découverte récente pour moi m'a fait bondir. À y regarder de plus près, c'est sans appel : j'ai pu croiser le chemin de personnes justifiant leur abattement par le devoir comme un allant de soi, et presque s'en ennorgueillir, comme si les autres étaient des enfants gâtés. Un mal nécessaire, justifié par la vie de chrétien et condamnant, voire méprisant tous les joyeux. Les personnes les plus drôles, les plus enthousiastes que j'ai rencontré dans ma vie ont souvent été également celles qui ont vécu les plus grands drames. En somme cela sentait le roussi : le malheur comme justification de la vie de catholique ? La joie me semble-t il, est pourtant le produit de l'équanimité, soit le fait d'apprécier ce qui est là, ce qui est don de Dieu. Rien ne nous est dû. C'est un remerciement éternel, une observation du chemin ouvert vers l'Optimum. La pièce manquante du puzzle était donc l'acédie, qui ne signifie ni mélancolie, ni paresse (d'ailleurs plus exactement, elle précède le sentiment de paresse) mais une nuance si subtile, à mi chemin qu'aucun mot ne remplace vraiment.


Cela permet notamment de comprendre pourquoi la joie découle de trois vertus (si la Foi, l'Espérance et la Charité étaient trois couleurs primaires la Joie serait la suprême mélasse de celles-ci) alors qu'elle pourrait être un simple bien. Après tout pourrait-t on dire, ce sont nos oignons, notre petite histoire, non ?

Éloignons nous un tant soit peu de la caricature de l’idiot heureux qui sourit bêtement toute la journée et réfléchis peu, arguant que tout est amour un point c'est tout.


Eh bien déjà non, contrairement aux apparences la joie ne concerne pas que soi. La souffrance, brèche hautement inflammable, est la voie sacrée du Malin.

Jetons un oeil à une expérience qui éclaire grandement ce fondement.


Nicolas Christakis (Université de Harvard) et James Fowler (Université de Californie) ont décidé de se plonger dans une étude réalisée sur une ville entière. Celle de Framingham. Une enquête titanesque qui débute en 1948 et initiée sur plus de 5 200 personnes. À l'origine elle fut menée afin de comprendre l'origine des maladies cardiovasculaires notamment à travers les comportements, tabac, alcool, alimentation, stress, bonheur… "Plus de 5 200 descendants des volontaires de Framingham ont été inclus dans une nouvelle cohorte en 1971. Un troisième groupe - «la troisième génération» - de plus de 4 000 personnes a été constitué en 2002.

Une étude d'envergure donc.


"Tous les 5 000 volontaires de 1971 ont été interrogés trois fois entre 1983 et 2003 sur leur sentiment de joie : «Vous êtes-vous senti confiant dans l'avenir la semaine dernière ? Joyeux ? Heureux de vivre ?», tout comme leurs voisins, amis, frères et sœurs.


Grâce à ces données accumulées et informatisées, l'organisation de la vie sociale à Framingham a été recréée virtuellement, dans l'espace et dans le temps. Les liens familiaux, les réseaux de voisinage, les groupes d'amis, les collectivités professionnelles ont été redessinés. L'éventuelle transmission de joie a été examinée à travers plus de 50 000 liens. Après des analyses algorithmiques complexes, l'idée de la propagation sociale du bonheur s'est clairement imposée." Vous pouvez retrouver les sources de l'étude en bas de page.


Elle indique aussi que la joie accroit la générosité ;

"En 1984, des chercheurs américains ont calculé que le fait de gagner 5 000 dollars au loto augmentait le bonheur de seulement 2 %. «Dans ce contexte, le pouvoir des autres sur vous est incroyablement plus élevé, puisque l'ami d'un ami que vous ne connaissez pas et qui devient heureux agit sur vous comme si vous aviez 5 fois 5 000 dollars !, résume James Fowler . Il y a plusieurs implications dans ce travail. D'abord, nous devons avoir une plus grande responsabilité face à notre propre bonheur puisqu'il affecte les autres. La poursuite du bonheur n'est pas un but solitaire. Nous sommes connectés et notre joie est ainsi."


"Je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme
égale et silencieuse ;
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère. "
Psaume 130


Descendons du promontoire et observons les enfants. Pourquoi sont-ils particulièrement joyeux ? Eh bien parce qu'à ce moment là de l'existence de leur vie ils ne font que recevoir, du moins c'est ce qu'ils ressentent profondément. Ils sont encore aimés, de leurs parents notamment qui s'occupent d'eux. Le regard est neuf sur ce qu'ils reçoivent, ils s'en émerveillent.


S'habituer au manque d'éclat revient à s'habituer à faire preuve d'ingratitude auprès du Bon Dieu.

Lorsqu'on offre un cadeau que l'on a scrupuleusement choisi avec tout son cœur pour quelqu'un, le voir manifester de la joie est notre satisfaction immédiate (et la seule que l'on doit attendre) dès lors que ce cadeau a été fait et c'est le rôle que tient Dieu chaque jour dans une infinie douceur.


Je me souviens de Christiane Singer (paix à son âme) , cette femme si gracieuse qui disait à peu près cela (je ne retrouve plus l'extrait) : "Si vous êtes malheureux vous êtes un danger pour les autres."

Avec intensité, voire avec une ferme assertivité brûlante de passion, comme elle peut le faire. Il me semble qu'elle va jusqu'à dire qu'une fois que l'on se rend compte de notre danger, il faut faire preuve d'une immense vigilence avant de se permettre de se mêler au monde. Cette pensée est pour moi extrêmement intéressante car il est assez peu commun que l'on regarde aujourd'hui vraiment le mal-être d'un point de vue de la responsabilité, de son rôle à l'intérieur du fruit, et pas seulement comme un problème existentiel, personnel, individuel.


« Veillez à ce que personne ne passe à côté de la grâce de Dieu, qu’aucune racine d’amertume ne pousse et ne cause du trouble en empoisonnant plusieurs d’entre vous »
Hébreux, 12v15

La joie allège la main de Dieu dans ses desseins, elle facilite son oeuvre, mettez vous sur son chemin et la tâche sera abominablement plus dure. Elle est donc la plus grande preuve de générosité et de charité qui puisse exister.


Attika Lesire



 





2 commentaires

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2 comentarios


Ermite Rédempteur
Ermite Rédempteur
25 ago 2021

L'absence de joie est un bon motif pour prendre le chemin de la confession, car bien souvent elle est un pied à l'étrier pour le manque d'espérance, puis le manque de foi et in fine le manque de charité.

La récitation des trois actes (de foi, d'espérance et de charité) peuvent être une pénitence qui portera beaucoup de fruits après la confession dans ce cas.


Bien à vous,

En Christ et Marie ✝️


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Jesús Alejandro Acevedo
Jesús Alejandro Acevedo
15 jul 2021

Le prolongement de ta pensée, ça serait donc que les églises soient à armes égales face aux vices et tentations, en prenant l'exemple de l'industrie de la mode qui se remet toujours en question avec sa recherche de la perfection. Le parfait alliage nécessaire entre les péchés capitaux et l'éthique morale des vertus, issue des enseignements de la nature puis pratiqués par nos confrères animaux, viendrait dans la modernisation du concept de foi. Comme l'ouverture des lieux de cultes 24 h sur 24 et 7/7, destinée à une société de consommation plus sophistiquée et globalisée, qui souhaite certes apaiser les âmes par le biais des écrans, mais aussi s'en détacher pour profiter d'événement culturel live qui sont trop peu présents dans les…

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