Pour commencer, redéfinissons rapidement les enjeux. Un conseil pratique n’a d'autre prétention que son cadre le plus élémentaire, par conséquent : un conseil pratique demeure et reste un conseil pratique. La fâcheuse manie de la faconde amène à produire de plus en plus d'incompréhension face à ce qui sera communément appelé le bon sens paysan, souvent accusé de bien des maux comme si nous vivions dans un pays la France teintée d'une éternelle douceur et insouciance à ce point inépuisable et éternelle que l'impact de ceux qui vivent sur son sol serait une abstraction esthétique. La violence, un concept abscons ?
Par exemple, nous le voyons avec les recommandations données régulièrement aux victimes d'agressions sexuelles dans les lieux publics, ces recommandations mal comprises produisent des paradoxes et des présomptions d’inversion accusatoire. « Le policier m’a conseillé de ne pas porter de mini short dans ce quartier, alors il se range du côté de l’agresseur. »
Fonctionne pour "Je vous conseille d'aller vivre ailleurs", "Ne rentrez qu'en taxi la nuit", "Il faut fermer votre logement à double tour Mademoiselle".
Là où à y voir de plus près l'on peut facilement y voir un glissement vers la standardisation de la violence, elle est de fait prodiguée par un témoin privilégié de sa recrudescence, qui côtoie en permanence les habitus de ceux qui la pratiquent, et se met précisément dans la peau de la victime afin de réduire ses chances de faire partie des statistiques.
La douche est froide, c'est la température du principe de réalité. Cette sensation d'absurde que beaucoup de femmes ressentent découle davantage du fait que celles-ci une fois victimes d’agression auront d’abord plus que tout besoin d’écoute et d'empathie. Bien avant voire au lieu de recevoir n’importe quel conseil. C’est souvent avec grande maladresse que sera donc perçue ce genre de remarque dans les commissariats. Ceci dit un policier n'est pas psychologue. Il est avant tout un acteur de terrain. Vous serez alors en droit de vous poser la question : "Est-ce l'agresseur qui fait la loi dans son quartier pour que je me plis à ses standards d'un autre temps et d'une autre civilisation ?"
Si j'adresse particulièrement cet article aux femmes, c'est notamment parce que je sais que nous sommes plus enclines à calquer nos comportements sur le monde souhaité, voulu, que sur la réalité, qui est une véritable résistance hissée par le monde extérieur."Ça ne devrait pas être comme ça, c'est inadmissible". Une musique qui doit vous dire quelque chose... C’est moi-même ce que je n’ai cessé d’asséner pendant des années. Lorsque j’ai compris que je pouvais faire les deux en même temps -constater et déplorer avec fermeté l’état inacceptable de l’insécurité en Ile-de France- ET m’aménager une vie confortable et sécurisante… alors ma vie à Paris est devenue bien plus douce et heureuse. C’est une question de respect pour soi et de salubrité psychique. Qui valent plus que tout. J'insiste.
Posons la situation.
En 2017, 1 Francilien sur 2 "déclare avoir été agressé, volé ou confronté à des atteintes visant des biens appartenant à leur ménage."
Depuis les chiffres sont en explosion permanente, et même les médias de masse sont bien obligés d'en distiller les contours comme le montre cette évolution de la criminalité relatée par Le Parisien :
L'Ifop relate quant à lui 86% des femmes sur tout le territoire français qui déclarent avoir subi au cours de leur vie au moins une forme d'atteinte ou d'agression sexuelle dans la rue.
A l'intérieur de la même étude, 39% concernent des remarques ou des insultes, 43% ont été suivies sur une partie de leur trajet, 31% ont subi des attouchements.
Il n'a échappé à personne qu'on est en 2024 et que la réalité est encore plus obscure aujourd'hui.
L'Île de France, Ô, l'Île de France, ce roman qui n'en fini plus.
Sachez que nous utiliserons l'exemple de Paris, mais aux dernières nouvelles, sentez vous également concernés si vous vivez Marseille, Nantes, Bordeaux, Toulouse, et l'on peut continuer la liste longtemps.
Du Pantin fébrile et effervescent en plein milieu d'une rue servant de four au trafic de drogues au placide 16ème arrondissement de Paris, j'ai connu le grand écart.
En dehors du fait que la deuxième expérience fut un savoureux repos édénique, un petit éclaircissement sur les conditions à Pantin seraient de mise. Je me trouvais dans une rue qui était réputée pour sa délinquance et ses rixes. C'est simple, je ne pouvais sortir ou rentrer chez moi sans croiser un de ses chefs d'entreprise et ses salariés de l'économie parallèle. "Miraculeusement", je n'ai pas fait partie des statistiques...
J'ai eu l'occasion d'entendre de nombreux axiomes qui reviennent à l'attention des citadines. Je regrette de dire que je trouve que ces conseils sont quasiment tous contre-intuitifs, peu efficaces et auraient même tendance à provoquer un effet pervers j'entends, l'inverse du but escompté.
Les suggestions que je réfute :
« Les femmes apprêtées ont plus de chance de se faire agresser ». Mhhhh, pas exactement. C’est même à peu près le contraire. Je m’explique. Ça n’est pas tellement l’aprêtement, le soin apporté à son apparence voire la beauté qui fait que des gens peuvent venir éventuellement vous manquer de respect. Je dirais même que cela aurait plutôt tendance à réveiller une agréabilité chez les gens, même les plus mal élevés. C’est plutôt selon s’ils jugent qu’ils se donnent le droit ou non de vous manquer de respect. Trois mots : vulnérabilité, absence, nervosité. Sur ce premier point, la vulnérabilité : concrètement plus vous ressemblerez à une jeune fille, plus cela sera interprété comme un feu vert pour l’agresseur. Ne me demandez pas pourquoi, en Île de France, j'ai vu une très nette différence entre lorsque j'arborais un style d’adolescente, plus jeune, et lorsque j’ai commencé à porter des robes, des tenues plus cintrées et élégantes. En d’autre terme, le but est de paraître Out of league : c’est une manière de sortir des radars de la vulnérabilité.
Les expériences menées sur les uniformes prouvent que la force de votre personnalité sera jugée selon le costume que vous arborez. On considère qu'un homme en costume noir a une plus forte personnalité, plus puissante, que le même en jogging ou en tenue de polyvalent en restauration.
Vous vous ferez encore draguer évidemment probablement autant, mais absolument pas dans le même registre et c'est la toute la différence. Disons avec une certaine timidité et respect. Or c'est la violence que vous voulez éviter. En clair, vêtissez-vous comme une femme et non comme une adolescente.
En fin de page, des exemples d'études montrant le lien entre pouvoir, soumission à l'autorité et tenue vestimentaire¹
« Allez d’un point A à un point B, en toute discrétion, vous serez moins embêtées ». Oui, c'est ça. Et rampez par terre aussi. Il faut mettre un terme à cette croyance stupide. Une étude assez relatée fut menée par le Criminal Justice & Behaviour² sur des individus diagnostiqués -au sens clinique- psychopathes. Le protocole était alors de montrer aux sujets des vidéos où l'on voyait des personnes, filmées par derrière, marcher. Ils devaient ensuite dire s'il était facile, ou non d'agresser la personne en question. Parmi les douze personnes filmées en train de marcher, certaines avaient vraiment subi des agressions. Elles ont été considérées comme plus faciles à agresser et reconnues. On voit une nette différence dans la manière de se mouvoir, témoignant du traumatisme. Il n’est pas stupéfiant de relier ici deux caractéristiques que partageront ces fameux psychopathes avec ceux qui font grimper les statistiques de violence gratuite : au moins au moment de passer à l’acte, une fragmentation de l’empathie dite chaude (l'empathie émotionnelle, par opposition à l’empathie froide, qui sera beaucoup plus mentale, et qui elle permettra en revanche de comprendre qui vous êtes d'un simple coup d'oeil). Certaines aires cérébrales ont une stimulabilité bien plus rapide que d’autres aires plus complexes. C’est le cas des zones les plus archaïques du cerveau, reliées notamment aux réflexes, à l’attaque et sera intimement lié à tout le spectre de la peur (détection et ressenti).
Voilà un bien vilain cercle vicieux aux allures de suggestion pernicieuse : plus vous aurez peur, plus vous serez vulnérable. Malheureusement, c'est vrai.
Tout l'enjeu sera alors de travailler sur votre peur (un post à ce sujet?)
Somme toute, la croyance selon laquelle il est préférable de raser les murs est un gouffre.
Un individu en pleine possession de son espace marche le dos droit, le regard bien présent (et oui regarder les gens dans les yeux fait partie d’un réflexe humain tout à fait normal). Attention. Habiter pleinement son corps ne revient en aucun cas à avoir une attitude arrogante. En fait, on est plus ou moins présent à soi. La présence est neutre et n’a pas d’autre connotation que de varier en intensité. Cela n’a absolument rien à voir avec votre masse musculaire ou si vous avez un passé d'agent de sécurité ou que sais-je encore. D’ailleurs la pratique de la danse pourrait être un exemple de piste. L'on apprend à déployer son corps et à prendre possession de celui-ci. Ou même le théâtre. Et oui...
Et n'oubliez pas qu'ignorer quelqu'un peut également minimiser son action et lui donner envie d'en faire davantage pour être vu. Il a entamé un contact, traitez le comme n'importe quel être humain. Regardez au moins cette personne. Vous n'êtes pas une victime.
« Ne répondez pas ». En effet, parfois ne pas répondre est une bonne idée. Si l'agresseur est derrière vous notamment. Il pourrait croire que vous ne l’avez simplement pas entendu (les casques/écouteurs dans les oreilles renforçant cette interprétation). Si l’individu se trouve loin de vous aussi, c’est très pratique. Vous avez autre chose à faire, lui se met la honte et à moins qu’il décide de vous courir après, cela vous fait un gain de temps et d’énergie. En revanche, une attitude de dérobade face à quelqu’un dont vous avez croisé le regard, qui arrive devant vous ou qui devient violent, c'est un appel d'air. Si vous avez du mal à croire à cette terrible injustice, je vous invite à prendre connaissance de ce triste le florilège de vidéos montrant des agressions gravissimes et gratuites, et l’attitude corporelle dans la plupart des cas des victimes, étonnamment ressemblantes entre elles, avant l’agression.
Par ailleurs il ne s'agira pas ici d'entreprendre une attaque. Vous ne savez pas dans quel état se trouve cette personne, si elle a un casier judiciaire vierge ou si elle a sous substances. Vous n’avez pas besoin de faire grand chose en réalité. Il s’agit de s’arrêter net et de regarder la personne dans les yeux, d'un air interrogatif et extraordinairement présent. Vous ne dites rien. Vous attendez jusqu’à ce que l’énergie qu’il a envoyé lui revienne. Parfois cela suffit, il jouera sans doute au malin devant ses copains mais vous sentirez qu’il amortira lui-même la situation. Parfois il va continuer. Méthode très simple. Un « Oui ? » bien fort, en communiquant avec votre non verbal que vous êtes pressée mais accordez un minimum d’attention à l’information dont il pourrait avoir besoin car vous n'avez pas peur de lui et qu'il est naturel de se parler dans la rue. "Qu'est ce que vous recherchez ?" Vous lui laissez encore une chance de sortir lui-même de sa tentative sans perdre la face. Car oui, perdre la face est précisément la pire chose qui puisse arriver à l'énergumène de rue, bien avant le fait de ne pas réussir à récupérer un numéro de téléphone.
S'il est avec ses copains n'hésitez pas à prendre à parti le plus hargneux (il y en a toujours un). Il m'est souvent arrivée de demander à ce dernier s'il faisait ça pour être accepté par son groupe ou s'il aurait la même attitude s'il était tout seul. Il faut savoir que ces groupes adorent se chambrer, c'est même une seconde nature. Vous leur offrez là une trop belle occasion. Quasiment toutes les fois où j'ai répliqué cela, ils se sont tous mis à rire et à charier l'intéressé. Une fois l'attention détournée vous pouvez facilement vous extraire.
« Je suis en couple ». En voilà une idée qui montre la chape de plomb bien pensante encline à vous faire imaginer que c'est Etienne en CDI chez Bio C Bon, 60 kg, qui va vous en coller une. Non, vous n'êtes pas en couple, vous êtes mariée. Vous n’êtes pas une jeune fille et vous ne vous justifiez pas. Personnellement pour éviter d’avoir simplement à dire quoi que ce soit, j’ai longtemps porté une bague au niveau de mon alliance et brandi cette dernière avec un air outré que l’on vienne draguer ainsi une femme mariée. Pourquoi pas avec un sourire chaleureux : l'aspirant sera tenté de faire profil de bon joueur. Mais ne soyez pas agressive, ou au contraire ne rentrez pas dans une interminable justification. Sachez que cette réplique l'étonnera nécessairement. C'est un motif très peu utilisé : celui ci pense que des femmes mariées, ça n'existe que dans sa famille. Et ça fait partie des rares choses pour lesquelles il a du respect, le mariage. Encore une fois apprenez la sociologie de l'agresseur de rue au lieu de fantasmer sur des vidéos de manspreading par les abominables financiers des quartiers de La Défense.
Dans 99% des cas, j'ai obtenu instantanément la paix. Et souvent des "Félicitations Madame".
Les suggestions qui me semblent pleine de bon sens :
"Ne prenez pas le Noctilien". Si vous n'avez vraiment pas le choix, mettez vous tout devant non loin de la porte d'entrée et du chauffeur. Ne vous embourbez surtout pas à l'arrière du bus.
J'ajoute que je conseille fortement aux Franciliennes d'arrêter d'insister avec les transports en commun si c'est pour vous pourrir la vie. Pourquoi ? Entre les grèves, la violence, les heures de pointes, la saleté. J'entends souvent parler des transports en commun comme une case à cocher dans la vie parisienne. Croyez moi, vous laisser une porte de sortie vaut de l'or. lI y a le vélo et pour les longues distances si ça ne vous fait pas trop peur, passez votre permis de cyclomoteurs. Vous ne dépendrez pas des caprices du trafic. Vous n'êtes pas obligé de passer par le permis moto pour la ville. Il en existe sur seulement trois jours pour les petits cylindrés. Les petits scooters de premier prix explosent sur le marché. En tous les cas il y aura un avant et un après les transports en commun sur votre niveau de bien-être à Paris, je vous le promets.
"Nouez un contact avec les autres". Là où vous vivez, interagissez avec les gens bien intentionnés. Il y en a toujours. Statistiquement comme je vous le disais, même dans un groupe de caïds avec un peu de décodage non verbal et de psychologie vous en trouverez toujours un de moins neuneu que les autres. Sachez repérer les gens qui peuvent être un appui.
En outre si l'on essaye de vous voler ou de vous agresser, la première chose à faire est de NOMMER explicitement ce qui vous arrive. "Votre main est sur ma cuisse. Retirez-la." En une phrase vous permettez à tous les protagonistes de comprendre immédiatement la scène.
N'hésitez pas à regarder les autres passant dans les yeux et à interpeller individuellement un témoin. Lorsque les gens ne sont pas sûrs de comprendre intégralement une situation, ils préfèrent ne pas agir. Vous verrez que la situation se renverse du tout au tout lorsque vous les invitez dans l'interaction.
"Ayez des yeux derrière la tête". La grande ville permet aux plus attentifs de développer un sixième sens. Une sensibilité à l’approche physique notamment, même si vous n’avez pas une vue panoramique. Quand vous marchez, essayez de visualiser l’espace autour de vous, devant et derrière. Vos yeux naturellement vont circuler de façon plus globale lorsque vous vous situez quelque part. Personnellement je n'ai pas attendu la pandémie pour adopter une distanciation sociale.
"Apprenez à vous défendre physiquement". Car même si l’instant fatidique d’une l’interaction repose sur les premiers instants, en amont ET pendant celle-ci, parfois il n’y a pas le choix : vous êtes en situation de faiblesse (au sol, coincé quelque part, en situation de handicap), et vous devez immobiliser votre adversaire. Il existe de nombreux sports de self défense pouvant vous enseigner à réagir et à adopter assez rapidement des réflexes. Systema (art martial russe), Krav Maga, Pencak Silat entre autres.
"Choisissez bien votre quartier. Allez vivre ailleurs". L’erreur de base est l'idée selon laquelle vous devriez absolument vivre DANS Paris. Mais quel image avez-vous à ce point de Paris pour vouloir tant y être au juste ? Celui du début du XXème siècle ?
Vincennes, Montrouge, Sèvres, Issy les Moulineaux sont des villes collées à Paris, avec le métro, et qui offrent une qualité de vie souvent largement supérieure, avec moins de population, plus de grands et vastes espaces et aussi, un niveau de sécurité bien plus louable. Êtes-vous vraiment sûre de vouloir déménager à Barbès ? D'ailleurs il faut le dire : même dans les quartiers chics, cette ville est devenue une plaie.
Et puis, plus globalement, le monde est vaste.
Aurais-je oublié des idées ? N'hésitez pas à les partager ci-dessous !
Attika Lesire
Sources
¹ - L'habit fait-t il le moine ?: https://carnets2psycho.net/pratique/article164.html
² Psychopathes et expérience du couloir : https://www.psychologytoday.com/intl/blog/extreme-fear/201010/how-psychopaths-choose-their-victims
Oui, t'as oublié un truc : la bombe au poivre ou le taser...