Jalousie féminine : Ça va piquer
- Attika Lesire
- 13 mai
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 mai
Non, la jalousie entre femmes n’existe pas. Je vais vous dire : c'est bien pire que ça.
Prêts pour un plongeon dans l'inavouable féminin ?

Faut-il avoir été une victime collatérale ou mieux, sacrifiée sous les épaisses semelles de la rivalité féminine pour avoir été priée, aux depens de notre candeur, d'aller voir ce qui se cachait derrière le miroir ?
Hélas, j'ai bien peur que oui.
Je soupçonne même qu'il faille absolument être passée par là -avoir pataugé dans la gadoue laissée par la jalousie d’une autre- pour seulement oser entamer son propre examen de conscience.
Car avant de comprendre certains événements de notre vie à la lumière de cette semence, des années, des décennies peuvent parfois passer. Lorsqu'on n'est pas, connement, simplement passé à côté. A jongler, toute chancelante avec des narratifs. On ne se passe pas nécessairement tous les épisodes de notre vie sous l'angle de jalousie, c'est pas d'chance, c'est tout.
Une autre condition est possible, une relation plutôt naturelle et facile avec la compréhension de son environnement, voire un bon zeste de virilité intellectuelle -cette force de ne pas se raconter d’histoires, qui manques parfois chez quantités d'hommes, n'allez pas croire- pour avoir accepté de considérer la substantifique moelle de cette jalousie. Ce petit truc en plus que certaines femmes ont de ne pas se mentir à elles-mêmes.
Ou peut-être fallait-il réunir les deux : l’expérience de la blessure et la lucidité de s’y confronter. Allez savoir.
Allons-y.
Elle débarque au milieu d'une soirée.
Dans une entreprise, attendant pour un entretien d'embauche, au milieu des salariés de bureau qui voient le probable nouveau phénomène. Toute guillerette.
Au restaurant, à deux pas de la table que vous partagez avec votre partenaire.
Bon, tout simplement, elle est là, vous ne pouvez pas la louper.
Les conversations se font plus feutrées, comme si une onde invisible avait effleuré la pièce. Une micro-secousse tellurique. La première vibration donne le ton : elle vient d’arriver.
C'est celle qui met les autres sur pause. Les visages se figent. Les regards se dérobent. Les corps se redressent. D'autres l’ignorent, ostensiblement. Une moue parfois charitable, parfois condescendante, ou faussement chaleureuse. Il y a toujours ce silence minuscule autour d’elle. Elle suscite parfois l'admiration de certaines.
Bref, entourée, mais diablement observée.
Et si le Jules de ces dames traîne dans les parages, l’agacement monte d’un cran. La tension devient palpable, mais toujours soigneusement drapée dans la politesse. Un humour sec surgit. Une courtoisie presque agressive. Une mise à distance instantanée, saupoudrée d’un venin microscopique. Presque involontaire.
Jamais assumé.
« L’envie ne dit jamais son nom. Elle choisit le soupir, le regard qui glisse, la moue sans fin. »
Nadine Gordimer
"Je ne connais pas la jalousie"
Je crois avoir entendu 100 % des femmes d’une assemblée lâcher cette phrase, le menton haut, dès qu’un jour, le mot rivalité a glissé dans la conversation. "La jalousie, moi ? Je ne connais pas." Jamais. Pas même une fois. Pas même un frisson. Jamais ce nœud muet au ventre quand une autre entre dans la pièce et que la lumière, sans demander pardon, pivote d’un cran vers elle.
Amusant.
Toutes y échappent.
Et pourtant, nous aurions toutes été victimes de la jalousie d’une autre, à en croire les témoignages. Curieux paradoxe. Allons ! Existe-t il une planète, loin, très loin de la terre, réservée aux femmes jalouses ? Une colonie secrète d’exilées de l’envie ?
On touche sans doute au cœur du génie féminin comme décrit par Barrico. Réécrire sa vérité à l’encre du ventre. On sent, on pressent, on raconte. Déformer sans mentir.
On dit ce qu’on croit ressentir, pas ce qui exige une relecture sèche et dépassionnée. Le monde est pourtant une continuelle expérience des Rats de Laborit. Comme Barrico l'écrit dans Les femmes savent mentir : le barycentre féminin n’est pas dans la tête, ni même dans le cœur.
Il est ailleurs.
Plus bas.
Dans ce lieu où naissent les enfants et les histoires.
Notre plus grande force : le ventre.
Notre plus grande faiblesse, aussi.
Et la jalousie, elle, n’y pénètrerait jamais.
Ce n’est pas l’autre femme que vous enviez. C’est votre projection enfouie. C’est vous-même, emmurée vive. Celle que vous avez refusé de laisser sortir.
Celle que vous avez parfois même empêché de naître. La femme, abondamment femme, que vous avez enfermée avant qu’elle ne respire.
La vérité, c’est qu’il y a une injustice dans la jalousie féminine qui fait mal. Ce n’est pas la jalousie elle-même. C’est son déni systématique.
On ne vous reproche pas de l’éprouver.
On vous en veut de la nier, puis de punir.
De salir, de ne pas vous voir vous. De refuser de passer de jeune fille à femme, qui comprend sa part d'ombre.
Je vais plus loin : cette concurrence est si incrustée dans l’inné qu’elle infiltre même parfois la relation mère-fille.
Oui. Encore un tabou ultime.
La mère.
Elle n'a pas besoin de ressembler à l'acariâtre de Vipère au Poing.
Elle peut avoir été la nourricière rêvée. Un jour, tendre. Présente. Douce.
« Elle me regardait me coiffer sans rien dire, et je sentais son agacement dans le miroir. »
Delphine de Vigan – Les heures souterraines
Souvenez-vous de Sandrine Bonnaire dans A nos amours. Sa mère, derrière ses reproches, laisse percer une jalousie voilée — comme si la liberté de Suzanne réveillait en elle un regret inavoué. Elle l'examine de côté, belle, vivante, insaisissable - les dents serrées.

Comme si la jeunesse, la beauté, l’indépendance de sa fille étaient une insulte personnelle. Comme si elle n’avait pas le droit d’être vivante pendant que l’autre se flétrit.
C’est cette capacité à exclure une autre femme d’un regard, à la rendre transparente.
À feindre de ne pas la voir.
À l’ignorer dans un groupe, parce qu’elle vous fait sentir plus petite.
C’est cette méchanceté voilée, cette ironie subtile, ce silence d'indifférence.
C’est ça qu’il faut mettre à plat. Pas la jalousie — la concurrence est inscrite dans nos gènes et la biologie en a même fait un objet d'étude (Voir Charlie Danger, études de J. Huxley 1938). ¹
« Il y a des femmes qu’on voudrait embrasser et d’autres qu’on veut faire taire. Parfois, ce sont les mêmes. »
Colette
miroir inversé
Il y a une phrase qu’on devrait entendre plus souvent :
« J’ai été injuste avec toi. Parce que tu m’as troublée. »
Une phrase qui, si elle avait été dite, aurait sauvé des millions de relations entre femmes.
Avez-vous souvent entendu une amitié se reconstruire sur ces mots :
« J’ai été jalouse de toi. Et ça m’a fait merder. »
C’est peut-être le seul véritable pas de côté hors de l’orgueil.
Le seul endroit d’où peut naître une amitié sincère.
Chaque femme devrait se poser cette question, sans fard :
« Quand ai-je été injuste avec une autre femme ? »
Pas par maladresse.
Mais parce qu’elle m’a renvoyée à ce que je ne suis pas.

Reparlons de l'avion de chasse du milieu de la pièce.
Il y a des femmes à qui vous pardonnez d'être belle. Car c'est une beauté qui ne parle pas directement à votre relation avec vous-même.
Et d’autres, jamais.
Non, le mouton noir est un type de femme très particulier. Et parfois elle n'est d'ailleurs pas spécialement belle : chacune à la sienne.
Que reflète-t-elle de vous ?
De ce que vous méprisez ?
De ce que vous vous interdisez ?
Celle qui a épousé une forme de féminité que vous avez rejetée.
Souvent, par rejet de vous-même.
Je vois beaucoup de femmes s’extasier devant les silhouettes des années 50. Les physiques rétro. Oui, elles sont sublimes. Mais c’est un mirage confortable. Elles sont hors d’atteinte : elles n’existent plus.
Non, je parle de la femme qui incarne un type de féminité, et surtout qui doit impérativement vous rappeler quelque chose de vous, beaucoup plus proche, actuel, en miroir. Vous vous disiez qu’elle n’existait que sur Instagram. Vous vous rassuriez en prétextant les filtres, les poses, les angles.
Mais si, cette femme existent bel et bien. Et souvent, vous n’y êtes pas prêtes quand elle surgit.
Vous les appréciez à distance, à travers les écrans.
Parce qu’elles ne peuvent pas atteindre votre cercle intime.
Mais lorsqu’elle entre dans la pièce, c’est la douche froide.
Si elle est humaine, touchante, solide. Si elle incarne un modèle. Quelle peut séduire les corps mais aussi les cœurs, la concurrence double. La tragédie commence : l’autodéfense.
La rumeur : l'arme ultime
Le sabotage discret.
La rumeur insidieuse.
"Elle a une vie décousue."
"Elle est passée sur le billard, entièrement refaite."
"Elle est conne comme ses pieds."
Toutes les stratégies sont bonnes.
Tout, plutôt que de dire : "Elle me trouble."
Dites la vérité. Vous seriez-vous autant intéressée à mettre le nez dans ses affaires si elle vous indifférait ?

"On détruit toujours ce qu’on ne peut posséder. "
Marguerite Yourcenar
La femme jalouse, en réalité, voit son double non apprivoisé. Par son environnement, depuis la plus tendre enfance. Son reflet désentravé.
Ce qu’elle aurait été sans son féminin blessé.
Ce qu’elle aurait osé être si on ne lui avait pas appris à se contenir.
Clarissa Pinkola Estés l’a bien décrit dans Femmes qui courent avec les loups.
La "femme sauvage" n’est pas une ennemie.
C’est une part de nous que la culture a bâillonnée.
Ce que certaines perçoivent dans les autres femmes, ce n’est pas leur beauté : c’est leur propre liberté abandonnée.
Alors oui, la liberté d'être belle notamment.
Les injonctions paradoxales du néo-féminisme
Et tant que le néo-féminisme croîtra, la tension entre femmes... croîtra elle aussi —
en sous-main, à l’exact opposé du discours affiché.
Derrière la sororité proclamée : un pacte de non-agression, fragile, ô combien hypocrite.
Des théoriciennes comme Camille Froidevaux-Metterie ou Nancy Fraser ont montré que les récits de sororité contemporaine sont parfois moins un réel lien qu’un vernis idéologique fragile. Laurence Rosier parle même d’une "coexistence armée sous le couvert de l’harmonie."
Et au fond, tout cela alourdit une névrose : celle du renoncement.
Renoncer à soi.
À sa rage.
À sa vérité.
Balle au centre : et si l'on jouait toutes... à ne pas jouer ? Très pratique, non ?

Le sens de la "Jouissance" (au sens de réalisation propre, pas d'une particulière décadence), celle qui brille sans s'excuser.
Celle-là, cette femme, on la hait.
Et gare à celles qui refusent le rôle dans cette comédie de surface.
Et celles qui quittent le script, qui improvisent,
...attirent toujours une répression symbolique.
L’ostracisme est l’arme invisible de cette guerre froide.
Ne pas avoir été entravée dans son essence : une trahison
Car oui, on pardonne difficilement aux traîtresses
Oh, la guerre ne sera pas armée.
Elle sera rangée, discrète, sournoise.
Vous les jugez soumises au patriarcat.
La femme bulldozer doit être éduquée, rangée dans un tiroir.
Des études socioculturelles à gogo pour expliquer en quoi la femme qui plaît a été manipulée par le regard masculin, des slogans creux.
Le fameux male gaze intériorisé qui est mal, très très vilain.
C'est de la fôôôte des hommes si nous souhaitons leur plaire.
Et jamais d'études sur le rôle évolutionniste du besoin de plaire chez la femme, comme gravé au marbre dans nos gènes.
Tout ne serait que Claude Lévi-Strauss, Bourdieu, Beauvoir et la construction sociale.
Quid de recherches centenaires à l'image de David Buss et le concept de stratégies sexuelles à long terme, qui optimise la reproduction et la survie.
"Les femmes n'ont pas appris à "séduire" : elles ont hérité d'une disposition millénaire à signaler leur valeur reproductive. "
Nancy Etcoff - Survival
of the Prettiest: The Science of Beauty (1999)
Bref, ce concept de sexisme intériorisé, largement théorisé par Sandra Bartky et Bell Hooks, est ici central : les femmes ont été socialisées pour valoriser la compétition plutôt que l’alliance.
Une remarque sur votre corps, vos vêtements, vos choix.
Et puis soudain, vous décrétez qu'elle est laide. Et il faut le faire savoir.
"Que penses-tu de Tartanpionne ?".
Envoyer une sonde, mettre le sujet sur la table, pour mieux donner son avis.
Et sur sa route, la belle traversera la vie sans s'imaginer le nombre de rafales qu'elle a pris, souriant naïvement à celles qui l'ont traîné dans la boue.
Oui, désolée, ça m'énerve.
La reine des abeilles
Ce mécanisme d’effacement mutuel a un nom : le syndrome de la reine des abeilles.
Désigné en 1973 par Staines, Travis et Jayaratne, il désigne ces femmes qui, une fois en position de pouvoir, s’isolent, désolidarisent, invisibilisent leurs semblables.
Comme si leur place était unique.
Comme si une autre femme menaçait la leur.
Alors forcément, celles qui osent jouer, celles qui ne demandent pas pardon, celles qui brillent malgré tout, elles sont détestées jusqu’au noyau de leur moelle épinière.

Devenir une femme toute entière, la vôtre = l'unique solution
Bref, un long travail sur soi vous attend et il n'y a rien d'autre qui puisse vous sauver et vous libérer du ressentiment.
Bon chance.
Et pour les autres, ce que je recommande : ne vous entourez que de femmes qui ont reglé ce souci interne depuis longtemps. Je vous assure, ça changera votre vie.
Attika Lesire
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