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  • Photo du rédacteurAttika Lesire

La triste histoire du faucon pèlerin



"Je suis bon pour m'éloigner. La peur du rejet vous apprend à rejeter. "
Jeanette Winterson


Tout en haut, dans le règne des oiseaux, le faucon pèlerin se hisse parmi les plus grands. Difficile de ne point assister un jour au déploiement de ses ailes majestueuses, propulsé par le souffle de Borée à travers une percée dans les nuages, à la vitesse d'une étoile filante. Près de 100 km/h lors de ses balades de routine. Lorsque le jeu en vaut la chandelle, comme la silhouette d'une proie sur la montagne de la taille d'une appétissante souris, il peut alors aller jusqu'à 390 km/h, en piqué. Plus rapide qu'une voiture de Formule 1.


Mais ici, on ne parlera pas de tous les faucons pèlerins.

Il y en a un de particulièrement coriace, et qui suscite l'exaspération de tous ceux qui ont pu l'approcher au plus près. Il s'appelle Tango.


Tango n'a en mémoire que quelques bribes de son âge tendre l'ayant mené à déployer sa satanée phobie, bien connue de tous dorénavant. Il est le rescapé d'une peur farfelue : parfaitement incapable de se poser au sol et de se jucher sur la fermeté de la roche comme le font tous les autres faucons. Ou plus exactement, un seul endroit trouvait grâce à ses yeux. En suivant le flanc d'une montagne, c'était le plus haut rocher du monde. Il surplombait tous les autres. C'était ici, et seulement ici qu'il avait élu domicile depuis toujours.




Ses petits camarades -sédentaires comme tout faucon pèlerin qui se respecte- avaient plusieurs fois fait le tour du monde. Ils venaient tour à tour lui conter leurs récits de voyage et comment c'était, tout là-bas. Il était le seul qui, été comme hiver, créchait au même endroit. Inutile de préciser que l'on savait toujours où le trouver, s'il n'était pas partie en chasse.

Là, il se savait en sécurité, et les disettes qu'il avait connu n'emportèrent point sa détermination. Il défendait son pré carré et c'est sans nul doute ici qu'il se cacherait pour mourir.


Chez soi, pas de risque.

Lorsque, au retour d'une chasse copieuse, Tango balayait le regard sur des falaises plus basses et qu'il voyait des tâches brunes s'y amasser, plusieurs sentiments en voyant ses compères lui venaient à l'esprit.

"Qu'ils ont l'air petits, vu d'ici."

"Fleurs de nave ! Mais qu'ils sont fous, bon Sang : se pavaner ainsi et devenir des proies aussi faciles !"

"De la chair à canon, du pain béni pour les plus affamés !"


Car si vous pensiez que le faucon pèlerin n'avait aucun prédateur, vous vous trompez. Les grands rapaces, tels que les aigles, le hibou grand-duc ou le faucon gerfaut partageaient tous ce même faible pour la chair élastique et gorgée de sang du faucon pèlerin.

Les autres faucons le sachant très bien, une fois la panse remplie, ne renonçaient pourtant pas à se retrouver, roucoulant ensemble sous les couchers de soleil. Tango les entendait parfois piafer jusqu'aux aurores, le pas guilleret et frivole.

"Ka yak, ka yak "

Tango ne manquait pas de recevoir de la visite pourtant, et il aimait même plutôt cela. Ses plus fidèles amis avaient tout essayé.

"Comment un faucon aussi chanceux peut traîner une peur aussi absurde ?"


Car oui Tango n'était point chétif. Respecté, la Providence lui avait donné un gabarit des plus robustes. Ses serres étaient particulièrement belles et lui permettaient une survie à en faire pâlir les plus chancelants. Mais lui se voyait toujours plus petit, moins charismatique, sévèrement inapte. Cinéma, qu'ils en font ! Que peuvent-t ils bien me trouver ?

Et puis son handicap profond ne l'avait jamais quitté, et arpenter les autres terres était une idée qui lui donnait systématiquement le goût de la mort.


D'aucun pensait que c'était un caprice. Un jour pourtant, alors qu'il s'exerca à aller le plus loin possible las des critiques, effectuant des allers et retours stratégiques vers son repère, la tétanie pris les commandes. Ses ailes s'étaient gelées sur place. Il ne savait plus voler. La chute raide a commencé. Sauvé in extremis par un ami de fortune, son plus grand mal fut enfin pris au sérieux. La légende disait qu'un mauvais sort avait été prononcé juste avant sa naissance, sortilège qui se perpétuerait de génération en génération pour former bientôt une dynastie d'anachorètes.


Ne vous y trompez pas, la vie de Tango a bien été ponctuée de quelques escapades. Malgré son patent refus de s'adonner à la basse danse de la cour à la femelle qui le voudrait exécutant tous types d'acrobaties, spirales, ascensions et autres piqués, la réputation que lui valait son tempérament de feu et son pelage brillant lui ont apporté bon nombre de prétendantes sur un plateau d'argent, se bousculant devant son cloître. Marla d'abord. Qui a su le charmer par son chant si singulier. Marla fut sa première histoire d'amour. Elle n'était pas comme les autres. Du plus loin qu'elle parvint à l'emmener, ils ne virent pas le temps passer, et elle pu le garder dans son nid quelques temps. Il ne sait par quel tour de magie elle y parvint, mais elle y parvint. Un jour pourtant, une violente douleur aux poumons le transperça alors qu'ils rejoignaient leur refuge. Une tétanie qui lui rappela aussitôt le drame qu'il failli éviter quelques mois auparavant. La dernière force qui lui restait lui permis sans crier gare de filer à l'anglaise. Il ne revint plus jamais. Marla, effondrée, suspecta un miroir aux alouettes, bien ficelé, pour mettre fin à leur histoire. Le salaud ! Elle repris ses voyages à travers le monde, lequel n'attendait qu'elle pour se laisser fouler du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest.


Et puis il y a eu Plume, et plus tard Anémone. Cette dernière l'arracha littéralement à sa villégiature. Qu'il était bon de ne plus avoir l'espace pour douter, et de s'abandonner à l'intrépidité d'une autre. La déraison avait été la première et seule drogue à laquelle Tango goûta. Le retour de bâton n'en fut que plus cruel. L'histoire se répétait.


Tango avait connu le goût de l'amour. Mais celui-ci était bien trop risqué. L'amour et la mort étaient pour lui, un entrelacement perpétuel.

Il était dorénavant la figure incontournable, mystérieuse et romantique de toute la haute plaine. Son espérance de vie avait largement dépassé les cinq années manifestes. Il vécu le double d'années de ses comparses. Jamais il ne fut survolé par quelque créature à l'appétit inassouvi, et il mourut au crépuscule du dernier croissant, comme la dernière braise d'un feu de cheminée qui a simplement terminé son travail. Sa dernière pensée fut qu'il avait passé son existence à supporter un fléau. Dans le ciel, celui d'après la mort, il paraît qu'on ne peut tomber et que rien ne peut nous arriver. Que voler revient simplement à se laisser guider par une main providentielle. L'oeuvre du Coryphée.


L'être humain peut-t il seulement comprendre cette histoire ?

Ne se réveille-t il pas parfois, un matin, avec une marque inconnue sur le corps, sans vraiment pouvoir en restituer la source ?

Et cette petite cicatrice au coin de l'oeil, qui a vu sa genèse relatée mille et une fois par notre maman ?

Oh, des explications, si on ne nous en donne pas, on en trouvera toujours, mais que valent-t elles vraiment ? Et puis, savoir que l'on souffre d'une tumeur et comment celle-ci s'est nichée permet-t il d'en guérir soudainement, comme par enchantement ?


La peur du rejet est une plaie bien cruelle, car c'est celle que l'on voit le moins et qui se dissimule le mieux. Elle peut pousser dans les foyers des quatre coins du monde, et vous ne devinerez jamais qui la porte. Elle cohabite avec tout, la timidité, le charisme, la placidité, la colère, le sel du sarcasme, le rire, l'originalité, le beau et le laid. Se déclare durant l'enfance, souvent ne s'éteint pas.


Elle apprend à celui qui en porte les stigmates à danser le paso doble de l'esquive. Il a réussi là où les meilleurs ont échoué : il n'a jamais été rejeté. Une prouesse.

C'est un sous-marin qui passe sous les radars de l'amour. Lorsqu'il le trouve, c'est par accident, lequel peut encore arriver.

Dites-lui que vous l'aimez, il ne vous croira pas. Et même s'il vous croit... Arf, non il ne vous croira pas.

Vous pouvez chercher à le convaincre, fou ! C'est peine perdue mais pourquoi pas.

Il ne prend pas beaucoup de place, s'arrange pour ne jamais avoir besoin d'aide, préfère mourir écrasé par une étagère que de vous demander de lui faire la courte échelle pour aller ranger un livre. Il n'y a pas moins chiant qu'un fuyard du rejet, car il ne vous laissera pas le pouvoir de juger ou non de son poids : il se porte seul, même s'il se porte mal.


Finalement, je n'ai aucun conseil à donner à ceux qui ne comprennent pas ces drôles de bêtes. Ou plutôt ai-je déjà fait beaucoup, si peut-être venez vous de comprendre ce qui a pu se passer dans le coeur de quelqu'un que vous avez croisé, mais que vous avez l'impression d'avoir raté.

Sachez que parmi tous les rejets que vous avez essuyé, une partie d'entre eux n'était que rejet préventif, oeuvre de l'un de ces oiseaux rares.


Alors voilà : quelqu'un a probablement déjà dû s'arracher les viscères au couteau, les mettre sur une table et vous les laisser quelques secondes, pour voir. Sans que vous ne vous soyez rendu compte de quoi que ce soit, il les a repris.

Vous avez fait quelque chose qui ne l'a pas rassuré, et il est parti se mettre en sécurité, vers d'autres horizons.


Mais il existe d'autres histoires où Tango ne serait finalement, jamais revenu sur le plus haut toit du monde. Il aurait rejoint l'amas de tâches brunes, sous les ordres du Ciel, et la suite, on ne la connaît pas.





Attika Lesire



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