Un catholique peut-il être libertarien ?
- Attika Lesire
- il y a 4 jours
- 9 min de lecture
Tout d'abord, je refuse d'essuyer tout débat avec un contradicteur qui n'aurait pas lu l'article jusqu'au bout.
Ce texte ne s’ouvre réellement qu’à son terme.

Car je soutiens une thèse simple : non seulement un catholique peut être libertarien, mais il le doit.
La confusion entre liberté et licence corrompt et produit la loi du plus fort, là où la liberté toute seule protège.
Plus simplement, comme l'on protège sa maison, l'on protège son cadre.
Seule une épistémologie de la liberté robuste, rationnelle et sans concession pour garantir nos murs, nos bâtisses civilisationnelles et nos ponts du consentement.
J’avais presque achevé cet article lorsque l’on me mit entre les mains Un libéral nommé Jésus, de Charles Gave.
Je n’ai finalement, rien ajouté à mon texte : l’ossature théologique et philosophique de cet article suffisait déjà.
D’une part, le texte aurait perdu sa concision.
Ensuite parce que ces ajouts, tout pertinents qu’ils fussent, n’auraient été que des prolongements : l’essentiel, me semble-t-il, était déjà là -fruit de mes lectures, de mes réflexions, et de discussions avec des catholiques libertariens, enracinés dans la Tradition.
Pour commencer, je m'adresse à deux grandes familles d'auditoire, large il en convient :
D’une part, les croyants. Plus précisément le monde chrétien. Je ne m’aventurerai pas sur le terrain des autres spiritualités : ni animisme, ni rastafarisme, ni syncrétisme d’aucune sorte.
De l’autre, ces non-croyants qui participent à l'hérésie cocasse voulant que Jésus soit un gauchiste. Ceux-là invoquent souvent, avec un aplomb tranquille, l’épisode des marchands du Temple dans le Nouveau Testament, persuadés d’y déceler une dénonciation du marché, et, bien souvent, pour servir un argumentaire vaguement socialiste.
C'est pourtant un contresens presque total. Ce passage, d’une puissance spirituelle incomparable, ne condamne nullement l’échange ou la valeur : il fustige la simonie, cette perversion qui consiste à acheter ou vendre ce qui est d’ordre sacré. Autrement dit, non pas le commerce, mais la corruption du don divin. Nous y reviendrons.

Origène, Chrysostome et Augustin l’ont expliqué clairement :
Le Christ ne chasse pas le commerce, mais la profanation.
Les Marchands du temple
Dans le Nouveau Testament Jésus chasse les marchands et les changeurs qui opèrent dans l'enceinte du Temple de Jérusalem. Cette scène apparaît dans les quatre évangiles canoniques.
En sont jetées généralement trois grandes interprétations. Elles vont toutes contre l'allant de soi récent, à la peau très dure : aucune d’entre elles ne constitue une critique du capital, ni du marché.
La première y voit un acte de rébellion contre l’occupation romaine.
La deuxième, la condamnation par Jésus du culte sacrificiel devenu formaliste.
La troisième, enfin, dénonce une opération financière injuste : une corruption morale au cœur du sacré.
Mais il faut le rappeler : l’échange existait déjà, et Jésus savait que ce commerce était non seulement toléré, mais indispensable à la vie économique du Temple. Ce passage ne condamne pas l’échange, mais sa dénaturation : le moment où le sacré devient marchandise.
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UNE MINIATURE DE LA LOI DIVINE
Édouard Jourdain (La Théologie du capital) rappelle que le capitalisme n’est pas né contre la religion, mais dans la religion.
Le marché possède une loi propre, autorégulatrice : les individus y participent, mais ce n’est pas eux qui l’ont instituée. Une idée qui plonge ses racines dans la théologie elle-même.
Car, poursuit Jourdain, « les individus doivent obéir à la loi du marché comme ils doivent obéir à Dieu. »
Les vertus cardinales (justice, tempérance, prudence) y sont indispensables.
Sans elles, le marché dégénère en prédation.
L’analogie est éclairante : de même que Dieu défend la propriété privée et condamne le vol, le marché authentique repose sur le respect du bien d’autrui, sur la responsabilité et la mesure.
Certains y reconnaîtront la vertu de tempérance, littéralement une vertu indispensable au libéralisme intégral : le principe de non-agression l'y oblige.
C’est ici qu’intervient le fil clair et explicit d'Arthur Homines, consacré à l’École de Salamanque.
Il rappelle que bien avant les Lumières, des théologiens catholiques -Vitoria, Soto, Molina, Suárez-avaient défendu :
la liberté individuelle,
le droit naturel,
le libre-échange,
la limitation du pouvoir politique.
Comme l’écrit Arthur, « la liberté moderne plonge ses racines dans la théologie catholique, non dans l’utilitarisme des Lumières ».

L'ANGLE MORT FRANçAIS
En France, plus qu’ailleurs sans doute, la pensée libérale radicale est le bonnet d’âne des nations développées.
Ce qui refuse obstinément d’être ingéré, c’est pourtant que plus le libéralisme est respecté dans sa pure acception, son mouvement naturel, moins il se pervertit.
Le contraire y est académiquement enseigné.
Sur la base d'un imbroglio, le marxisme lui a prêté le péché originel.

Le mal ? Il n'a pas changé d'hôte.
La main humaine, pilleuse, que l’État a autorisé, celui qui a institutionnalisé la manducation de la pomme d’Ève, celui qui étouffe, dérègle, appauvrit, dévoie.
[L'état]celui qui a institutionnalisé la manducation de la pomme d’Ève, celui qui étouffe, dérègle, appauvrit, dévoie.
Sous perfusion socialiste, nos universités, trop sûres de leur supériorité théorique, forment des adultes déconnectés de l’économie réelle.
Smith, Marx, Ricardo, Keynes, Piketty : les mêmes autels depuis un siècle.
Par décret tacite, l’École autrichienne -Mises, Rothbard, Hans Hermann Hoppe- est pratiquement absente.
C’est un scandale.
MISES, HOPPE, BASTIAT
Je ne comprends pas comment l'on peut penser connaître l'économie sans s'être intéressé à ces noms.
Comment faire de l'économie sans penser au principe d’ordre spontané, à la préférence temporelle, au calcul économique ?

Bien que les facultés de droit consacrent quelques heures au droit naturel, on y évoque la propriété, le contrat, la responsabilité, bien peu abordent l’harmonie naturelle ou l’échange libre, et presque aucune ne donne à lire ceux-là mêmes qui les ont pensés.
Le mélange de morale et de marché provoque ceci : l’une s’étiole, l’autre s’effondre.
Nous sommes là dans l’hérédité d’une confusion entre liberté et licence, entre contrat et prédation.
L’ordre sans État
Le libre marché ne nie pas la morale : il l'éprouve.
Il devient, pour le croyant, la plus haute mise à l’épreuve de la foi.
L’État ne crée pas l’ordre : il prétend le monopoliser.
La transcendance doit impérativement laisser aux uns et aux autres, le défi, la place pour l'élévation spirituelle.
Jésus ne juge jamais des peuples, des collectifs, mais des individus.
Or sans liberté concrète, pas de conversion authentique.
Le marché repose sur le contrat : règles, interdictions, obligations mutuelles.
Ce n’est pas la jungle.
C’est une liturgie sociale minimale.

Mais ne nous égarons pas. Le propos, ici, est plus audacieux : montrer que la liberté d’échanger, hors du joug de la contrainte étatique, peut devenir la seule voie de renaissance spirituelle.
L’ordre véritable, loin d’être imposé par le droit positif, naît du consentement libre, de l’accord volontaire entre les hommes, et permet à la Tradition de revenir habiter nos sociétés sans tutelle anticléricale ni soupçon de réaction.
« Or, le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. »
2 Corinthiens 3:17
La coercition étatique. : obstacle premier à la pratique de la foi
Le compromis n'est pas chrétien.
De la Chine au Pakistan, comme dans nos démocraties occidentales fatiguées, l’État grignote la liberté religieuse.
Au Pakistan, on pend pour blasphème.
On retire des crèches « par neutralité ».
On censure saint Michel.
On subventionne un Christ couvert d’injures.
La propriété privée
« Si un voleur est surpris en train de commettre un vol avec effraction, qu'il soit frappé et qu'il meure, on ne sera pas coupable de meurtre envers lui ; toutefois si le soleil est levé, on sera coupable de meurtre envers lui. »
(Exode 22.2-3).
"Tu ne voleras pas."
Deux principes fondamentaux dans la Bible :
le droit à la propriété privée,
le droit de défendre ses biens.
La propriété est le prolongement naturel de la dignité humaine.

La charité = contraire du collectivisme
Certains comiques osent affirmer avec audace que le Christ était de gauche.
Dieu sait combien la propriété privée est essentielle pour permettre à chacun de refléter sa création.
La charité forcée n’est pas la charité : c’est une fiscalité morale.
Et c'est là tout son or, que dis-je, son diamant le plus cher.
"La charité est un acte de la volonté illuminée par la grâce. Elle ne se délègue pas à l’État."
Saint Thomas d’Aquin
"Or la charité consiste à marcher selon les commandements de Dieu. Tel est le commandement que vous avez reçu d’abord, afin que vous l’observiez."
2 Jean 1.6
La charité choisie, pleinement, est le fruit du mouvement du Saint Esprit.
Elle n'est ainsi jamais forcée par les autres hommes, au même titre que la conversion forcée -qui existe dans d'autres religions- n'est pas possible chez le Chrétien.
Une allégorie de la Trinité. La tête (le mental, le thomisme), le cœur (charité, compassion) et le ventre (siège de l’action) est la plus haute complétude pour accomplir un geste pour le Christ.
L'État les corromps, tous ensemble.
L'abondance rend possible la cupidité. Elle n'en est pas le synonyme.
"Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire ; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu'elles soient dans l'abondance."
Jean 10:10
«Je vous le déclare, c'est la vérité : il est difficile à un homme riche d'entrer dans le Royaume des cieux. Et je vous déclare encore ceci: il est difficile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, mais il est encore plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu.»
Matthieu 19:23-24
Car le riche qui choisi la charité est rare, et ce qui est rare est cher aux yeux de Dieu.

La pauvreté et l'idôlaterie
Le veau d’or symbolise la confusion entre abondance et adoration.
Ce n’est pas la richesse qui est condamnée : c’est l’idolâtrie, la spoliation, l’accumulation pour elle-même.
Et la pauvreté...
Elle est une vocation spirituelle, non une programme économique.
On confond souvent, à tort, la pauvreté évangélique avec une forme de paupérisation organisée ou une critique structurelle du marché. C’est une erreur théologique.
La Tradition distingue :
pauvreté volontaire (moines),
pauvreté de cœur (universelle),
aumône libre (jamais contrainte).
C’est ici que se joue l’opposition avec certains discours contemporains, marxistes, affirmant l’incompatibilité radicale entre christianisme et "système-argent". Cette lecture confond idolâtrie, richesse, et marché, alors que la Tradition les distingue rigoureusement.
LE DEVOIR "D'ETAT"
Le devoir d’état n’a rien à voir avec le devoir d’État.
Erratum se dupliquant comme la multiplication des pains.
Dans bien des sermons, les abbés gagneraient à commencer par là, tant la confusion est fréquente et rarement dissipée auprès des fidèles.
Le devoir d'état désigne les obligations concrètes que Dieu place dans notre vocation : époux, parent, prêtre, artisan, chef d’entreprise…
"La sainteté consiste à faire parfaitement les choses ordinaires."
Saint François de Sales

Autrement dit, c’est dans l’exercice quotidien de nos charges que se révèle la fidélité à Dieu.
Le devoir d’état devient ainsi participation à l’ordre divin : là où la volonté humaine s’accorde à la grâce, se forme l’unité intérieure sans laquelle il n’existe ni cohérence, ni paix véritables.
Le contrôle du corps.

Toujoursdans son fil X,
« La mainmise sur le corps est l’étape ultime de l’expansion étatique. »
Arthur Homines
L’État moderne n’exproprie plus seulement les biens : il exproprie la personne.
Peu importe que l’État se présente comme “gentil” ou “protecteur” : l’histoire montre qu’il finit par régenter la sexualité, la reproduction, la santé, le mouvement, la filiation. Ce « contrôle des corps », souligne-t-il, est la forme suprême d’expropriation -l’ultime enclave de souveraineté personnelle capturée par la bureaucratie.
Une Monarchie ?
Dans un système libertarien, vous pourriez vivre sous une monarchie si vous le souhaitiez.
René Drouin en parle dans L’anarcapie, une opportunité pour le retour d’un Roi Catholique ? (en plusieurs parties).
J'ajoute un principe de réalité à laquelle il va falloir se plier et qui permet d'avancer que c'est par la proto-communauté et non l'échelle Étatique que les principes de la Tradition feront "loi".

Anthropologie et devenir des structures
Les anthropologues (Turchin, Norbert Elias, Joseph Henrich, Mary Douglas, etc.) observent un phénomène récurrent :
Lorsqu’une société adopte une innovation sociale, juridique ou morale majeure, elle ne revient presque jamais en arrière tant que les structures technologiques, économiques et démographiques restent stables.
Le modèle de la Spirale dynamique schématise cet automatisme sociologique robuste :
Les valeurs “post-modernes / individualistes” (niveau vert) émergent uniquement lorsque les niveaux inférieurs sont stabilisés.
Sur le long terme, une société ne régresse pas vers un stade inférieur sans choc massif (effondrement, guerre, domination externe).
Demain, tous libertariens ?
Va-t on donc, Chrétiens, devoir vivre dans une société qui rembourse la PMA et la transition de genre alors, puisqu'une fois instaurés, les systèmes ne se retournent plus ?

Bonne nouvelle. Non justement.
À partir du niveau jaune, les sociétés deviennent polycentriques et contractuelles.
Les communautés catholiques peuvent donc exister sans subir l’hégémonie progressiste.
Les sociétés les plus stables -et souvent dominantes- sont celles qui ont une cohérence interne, une haute “solidarité collective”, une transcendance partagée, et une orientation morale stable.
Ce que Turchin nomme asabiya : une force de cohésion supra-individuelle qui permet à une société de dominer les autres.
Les sociétés capables d’orienter leurs valeurs vers une verticalité (religieuse, morale, métaphysique) sont celles qui finissent par structurer le monde.

Le trône sans l’autel devient bureaucratie ; l’autel sans la liberté devient superstition.
Un libertarianisme chrétien, compris comme ordo amoris, pourrait offrir la matière du futur.
Le contrat peut devenir un sacrement social : une promesse libre scellée dans la lumière du Verbe.
Ainsi pourrait naître une cité d’alliances fidèle et l’esprit de la Chrétienté, affranchie de ses vices absolutistes.
La liberté, quand elle se laisse habiter par la charité, devient un principe d’ordre supérieur à toute loi humaine. »
UNE PARTIE II POURRAIT SUIVRE,
SUR LA MISE EN PRATIQUE CONCRÈTE,
LA VIE SOUS LA LOI ECCLESIALE RENDUE POSSIBLE DANS CETTE CONTINUITÉ.
Attika Lesire.




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